Le rhinocéros et la girafe

Les puissants de ce monde ont coutume, pour entretenir des relations amicales avec d'autres puissants, dirigeants d'autres états, de leur offir des cadeaux qui se doivent d'être précieux ou remarquables, cela s'appelle  des cadeaux diplomatiques.

Parmi les remarquables il était de bon ton d'offir un animal exotique dont le transport jusqu'à destination n'allait pas toujours de soi.

C'est ainsi qu'un rhinocéros et une girafe sont passés à Marseille.

Le rhinocéros

En 1514 Muzafar, sultan de Cambay en Inde, voulant rester en bons termes avec le roi Manuel de Portugal auquel il venait de refuser la construction d'un fort sur son ile de Diu, renvoya les émissaires portugais avec quelques cadeaux royaux dont un rhinocéros qui fut embarqué dans un convoi de trois vaisseaux. Ceux-ci arrivèrent à Lisbonne après un long périple qui leur fit contourner l'Afrique et cet animal, jusqu'alors inconnu en Europe, suscita une grande curiosité, fut exhibé dans les rues de la ville, inspira même les artistes et fut dessiné par Albrecht Dürer.

En 1515 le roi Manuel, désireux lui aussi de s'assurer la bienveillance d'un autre puissant, décida d'offrir son rhinocéros au Pape Léon X et le voilà reparti en décembre 1515 pour un nouveau voyage maritime. Le convoi contourna la péninsule ibérique et, en chemin fit une escale à Marseille ou l'animal fut débarqué sur l'île d'If inhabitée.

Le roi François 1er, retour d'Italie (Marignan 1515 ! ) se trouvait dans la région, ainsi que Louise de Savoie sa mère et son épouse la reine Claude qui avaient quitté Paris pour se porter à sa rencontre.

Après une visite pélerinage à Saint Maximin et à la Sainte Baume elles s'étaient rendues à Marseille le 3 janvier 1516 puis étaient remontées vers Aix et Manosque. François 1er les rejoignit le 13 janvier près de Sisteron puis les souverains se rendirent à nouveau à Saint Maximin et la Sainte Baume le 21 janvier.

De la Sainte Baume, François 1er suivi de sa cour et des deux reines se dirigea sur Marseille par la route que celles-ci avaient prise trois semaines auparavant  Ils y parvinrent le 22 janvier. Plusieurs journées de festivités les y attendaient parmi lesquelles la traditionnelle bataille d'oranges au cours de laquelle s'affrontaient les divers quartiers. On raconte que le roi y participa avec entrain. Mais il se réserva également des activités plus sérieuses, le 24 janvier il se rendit sur les galères de Préjent de Bidoux et de Bernardin des Baux … puis, monté sur la «  galera bastarda «  il alla visiter un navire du roi du Portugal qui s'était arrêté aux îles et qui portait au Saint Père, comme cadeau de ce roi, «  una bestia salvage appellada Renossero« .

Le cortège royal quitta Marseille le 26 janvier 1516.

Le navire convoyant le rhinocéros quant à lui repartit en février en direction de Rome mais, au large de La Spezia, l'avant port de Gênes, une tempête le fit sombrer, entrainant avec lui le pauvre animal qui voyageait attaché. On retrouva, dit-on, son cadavre et il fut empaillé avant d'être acheminé jusqu'à Rome où il fut exposé au Vatican, sa destination initiale.

La girafe

Mehemet Ali, ancien soldat ottoman né en Macédoine, est devenu sultan d'Egypte après la désastreuse campagne de l'armée française au Caire. Il y avait été envoyé par le sultan afin de combattre les troupes de Bonaparte et, après la déroute de celui-ci, il fut désigné par les chefs religieux pour remplacer le pacha désigné par le sultan.

Gouvernant éclairé il étend son empire jusqu'au Soudan, fondant la ville de Ras el Khartoum et modernise le pays en profondeur sur le plan politique, économique et social,

Dans ce but il fait appel à des compétences étrangères, notamment Françaises et veut resserer les liens l'unissant à notre pays. Conseillé par Bernardino Drovetti, ancien soldat de Napoléon devenu consul de France au Caire il décide d'offrir au roi Charles X désireux d'enrichir sa ménagerie des jardins du roi, l'un des deux girafons qui viennent d'être capturés au Soudan et dont la mère a été abattue. L'autre girafon est destiné à l'Angleterre. Un long voyage pour ces jeunes animaux, en caravane tout d'abord, puis en felouque sur le Nil les conduira jusqu'à Alexandrie où Zarafa, le girafon destiné à la France est embarqué sur un brigantin sarde dont on a dû découper le pont afin qu'elle puisse passer son cou et sa tête.

Pour prendre soin de Zarafa on a aussi embarqué un palefrenier et trois vaches qui fourniront les 25 litres de lait nécessaire à son alimentation. Elle arrive à Marseille le 23 octobre1826 et, après une quarantaine dans le lazaret du port à la Joliette, elle est hébergée rien moins que chez le Préfet Villeneuve Bargemon où elle passera l'hiver.

Une véritable «  girafomania «  se développe alors, l'épouse du préfet donne des «  dîners à la girafe «  on représente la girafe sous toutes ses formes, sur les supports les plus divers, des tissus, des gâteaux, des gravures et des tableaux, des objets en faïence et en porcelaine, Balzac et Victor Hugo y font allusion dans Les misérables et Eugénie Grandet.

Au Printemps Zarafa reprend la route, toujours accompagnée de son soigneur et de ses vaches nourricières, escortée par des gendarmes à cheval, attirant les foules à chacune de ses étapes. L'éminent naturaliste Etienne Geoffroy Saint Hilaire, à l'origine de la création de la ménagerie du Jardin des plantes, est aussi du voyage

Elle arrive à Paris le 30 octobre 1827, accueillie par les savants du Museum d'Histoire naturelle, elle est présentée à Charles X, installée au Jardin des plantes où elle séjournera pendant 18 ans. Elle mourut en 1845, fut empaillée et c'est elle, dit-on, que l'on peut voir au Museum d'Histoire naturelle de La Rochelle, mais il y existe une controverse à ce sujet : d'une part la robe de cette dernière serait différente des représentations d'époque, d'autre part il n'y a pas de certitude sur ce qu'il est advenu d'elle entre 1845 et son arrivée à La Rochelle en 1930.

Du passage de Zarafa nous aurions conservé une expression «  peigner la girafe « , c'était le travail de son soigneur.

Sources :

Annales du Midi :Le voyage des reines et de François 1er en Provence et dans la vallée du Rhône

Hérodote : Mehemet Ali le maître du Nil

Marie Louise BICAIS Marseille 24 avril 2020