Mort de froid dans un fossé

 Au cours de mes recherches généalogiques j’ai été amenée à parcourir de nombreux registres d’état civil et registres paroissiaux, dans diverses régions. Comme tous les généalogistes j’ai pu constater qu’il est parfois difficile de retrouver un ancêtre dont on se demande ce qu’il est devenu, a t-il quitté le pays, quand, pourquoi, pour aller où ?

Quelquefois, je me suis attardée, dans certains registres, sur un acte qui a attiré mon attention bien qu’il n’ai aucun rapport avec ma famille. C’est ainsi que le 1^er février 1769, dans le registre de Sénas, village des Bouches du Rhône proche de la Durance, j’ai rencontré Etienne BERNARD qui venait d’y trépasser.

« L’an 1769 et le second de février a été inhumé dans le cimetière de cette paroisse le nommé Étienne Bernard, trouvé mort le jour d’hier dans un fossé sans eau, le long du grand chemin entre le Pas des Lanciers et une bastide de Pierre Bourges, étant néanmoins sans aucune blessure, contusion ni meurtrissure et cru mort par la vive impression du froid qu’il fait depuis deux ou trois jours, comme il appert par le procès verbal fait à cette occasion.
Ledit Étienne Bernard était forçat servant au port de Toulon n° 4055, âgé de trente-deux ans, taille moyenne, cheveux, barbe et sourcils châtains, brun, les yeux bleus, le nez affiné, natif de Varsivière, évêché de Clermont en Auvergne, lequel avait été condamné du Bourg-Argental par sentence du lieutenant criminel le 15 du mois de septembre 1758 à servir sur les galères de sa majesté pendant cinq ans, parti de Toulon.

La relation cy dessus conste par le congé moulé trouvé sur ledit Étienne Bernard, datté de Toulon le 26 du mois de janvier dernier signé Panet, Arnaud, Bompar et Hurson, par lequel congé pleine et entière liberté était donnée au dit Étienne Bernard.
En foi de quoi j’ai signé avec Amant Imbert et Joseph Cornillon.»

J’ai aussitôt cherché sa trace dans les arbres généalogiques déposés sur Geneanet, espérant y trouver des descendants auxquels je pourrais communiquer cette information, hélas nul Etienne BERNARD auvergnat dans aucun arbre à l’époque de ma trouvaille.

Pendant une quinzaine d’années j’ai régulièrement tapé son nom sur le site Geneanet espérant le voir apparaître, en vain jusqu’à ce jour de 2019 où j’ai repéré un Etienne BERNARD dans une base de données s’annonçant comme une reconstitution des familles de Valcivières - un indice troublant.

La date de naissance – 18 janvier 1734 - était compatible avec l’âge mentionné sur l’acte de sépulture, Valcivières pouvait bien être le Varsivière du document du bagne.

C’est pourquoi j’ai contacté l’auteur de l’arbre, lui communiquant mes informations et une copie de l’acte de sépulture ainsi que sa transcription.

Avec le numéro d’écrou il a pu contacter les archives du bagne de Toulon et obtenir l’acte d’écrou n° 4055 qui confirmait mon intuition, le bagnard de Toulon avait les mêmes parents que le baptisé de Valcivières.

Pauvre garçon condamné à l'âge de vingt-quatre ans à cinq ans de bagne pour mendicité avec armes, qui en a effectué dix et qui, libéré en plein hiver est mort de froid quelques jours après, seul, dans un fossé, non loin des habitations en tentant probablement de regagner son Auvergne natale.

Une longue recherche qui a payé. L’acte de sépulture m’avait émue, je l’ai été tout autant lorsqu’enfin Etienne BERNARD, mort solitaire loin de chez lui, a pu retrouver sa famille.