Le Vallon des auffes
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Le rivage marseillais est rocheux, dentelé par de petites anses ou des calanques plus ou moins profondes parmi lesquelles, face aux îles du Frioul, se trouve le Vallon des auffes.
Bien que le nom désigne actuellement tant le port que la partie résidentielle, le vallon c’est la partie terrestre qui a porté successivement les noms de :
- vallon d’en Garnier, un de ses propriétaires dont le nom apparaît dans un acte du XIVe siècle
- vallon des innocents : Innocents c'est le nom donné aux jeunes pigeons, et ils étaient nombreux à nicher dans la falaise
- vallon du Roy
- vallon des auffes
La calanque quant à elle s’est nommée Anse du malaisé avant de devenir définitivement l’Anse des auffes vers 1747 lorsque des ouvriers travaillant l’alfa/auffo en Provençal, graminée permettant de fabriquer des cordages de navires, des nattes, des couffins, vinrent s’y établir après avoir quitté le quartier de la Blanquerie sur le bord du Vieux Port.
Dès le XVIe siècle le Vallon a abrité des pêcheurs venus de Santa Margherita au Sud-Est de Gênes ce qui ne manqua pas de créer des tensions entre Marseillais et Margaridiens, tout comme il y eut des tensions entre Marseillais et Catalans.
Au XIXe siècle il était essentiellement habité par des Margaridiens et des Gênois, dont certains descendants sont toujours présents, toujours pêcheurs qui, le matin vont livrer leur pêche du jour aux meilleurs restaurateurs du secteur.
Dans les temps anciens l’accès au vallon se faisait par la mer où à travers les pentes de la Montagne des Catalans qui, d’un côté séparait le Vallon de l’anse des Catalans, de l’autre permettait d’accéder au plateau d’Endoume.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle il devint indispensable de remplacer le petit chemin de desserte côtier par un axe plus praticable, à l’époque en voiture à cheval.
Le tronçon passant par le Vallon des auffes fut réalisé de 1861 à 1863 mais, en raison de la situation encaissée du site, il fut nécessaire de le faire enjamber par un viaduc. Celui-ci, composé de 3 arches sur une longueur de 60 mètres et 17 mètres de hauteur a été conçu par l’ingénieur Franz Mayor de Montricher, déjà auteur du canal amenant les eaux de la Durance jusqu’à Marseille en passant par l’aqueduc de Roquefavour.
Dans le même temps, l’étroite et profonde « Anse du capelan « qui précédait l’anse des auffes a été comblée. En souvenir, il nous reste un mur en contrebas de la Corniche et l'appellation le « trou du capelan «
Dès lors, la circulation le long du rivage était facilitée mais, depuis le Vallon, la vue était fermée.
Trois chemins d’accès ont été ouverts de part et d’autre du pont, qui permettent de descendre vers ce que Jean Bazal, journaliste et écrivain, appelait « Mon village à 71 marches de Marseille « .
DECI DELÀ AU VALLON
L’évolution du quartier
Dans la seconde moitié du XIXe siècle le sud de Marseille s’est peu à peu développé, industrialisé, on a envisagé de construire les Ports Sud, le secteur entre les Catalans et le Vallon des auffes s’est transformé. En 1851 le baron de Samatan a vendu des terrains situés en bord de mer entre les Catalans et le Vallon des auffes à des sociétés commerciales, puis on a éventré la « Montagne des Catalans « pour créer un espace utilisable.
Une fabrique de soude s’est implantée dont on aperçoit la cheminée au détour du récent Chemin de la Corniche (la soude était nécessaire – entre autres - à la fabrication du savon ; les importations de soude d’origine végétale s’étant raréfiées et la politique industrielle étant devenue protectionniste, on s’est tourné vers une production chimique )
En 1890 Joseph de Benedetty (1871-1951) entrepreneur en maçonnerie, fils d’immigré italien dont le nom a été francisé, achète des terrains dégagés par la carrière, trace le Boulevard de Benedetty (actuel Boulevard de la rade), le Boulevard Sainte Lucie en hommage à sa mère dont c'était le prénom, et le Boulevard des chalets de Nice (actuel boulevard des Dardanelles d'après le Dictionnaire historique des rues de Marseille d'Adrien Blès), 3 artères situées au dessus de la rive droite du port, sur l'anse du capelan qui a été comblée, y installe son usine de " Agglomérés silico-calcaires - briques et moëllons " et construit plusieurs immeubles le long de ces voies.
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Dans les années 1960, au pied de la falaise laissée par la carrière Cieussa, ont été construits l’ immeuble le Galion et les 2 immeubles de Grande Corniche, ces derniers ont hélas abîmé la perspective du Vallon depuis le port.
La carrière Cieussa en 1920
Les rues du Vallon : je devrais plutôt dire les voies car, autour de ce port miniature, ce sont plutôt des ruelles, des traverses, des impasses, des escaliers qui permettent de se déplacer, et on les a personnalisés.
La rue principale qui part du port et permet de rejoindre Endoume prend le nom de Rue du vallon des auffes.
Les ruelles tout autour du petit port vont tout naturellement recevoir un nom en rapport avec la pêche. C’est ainsi que nous avons les poissons avec les rues ou impasses du sar, du pageot, de la girelle, des beaux yeux *, et les appâts avec la rue du mouredu et l’impasse des bibis.
Plus loin quelques personnages locaux, anciens propriétaires, ont laissé leur nom à la rue ouverte sur leur terrain : Edmond Oraison, Carrière, Henri, Durbec, Rodolphe Serre, Sambuc.
Sans originalité la traverse du vallon rejoint la rue du Vallon des auffes.
La traverse des mèches doit son nom à l’entrepôt d’explosifs utilisés pour la carrière.
Le monument
A côté du pont, surplombant la mer s’élève le monument dédié Aux héros de l’armée d’Orient et des terres lointaines morts pendant la guerre 1914-1918, pour lequel un concours fut lancé en 1924, le projet retenu fut celui de l’architecte Gaston Castel et du sculpteur Antoine Sartorio.
Il se présente sous la forme d’un portique qui pourrait justifier le nom de Marseille porte de l’Orient que lui attribuent certains, si ce n'était une erreur. Marseille porte de l'Orient est le titre d'un tableau du peintre Puvis de Chavannes en 1869. Le monument fut inauguré le 24 avril 1927 par Simon Flaissières (1851-1931) Maire de Marseille en présence de Gaston Doumergue Président de la République.
Au centre de ce portique en roche granitique s ‘élève une Victoire en bronze, bras tendus vers le ciel. De part et d’autre de l’arche, des sculptures célèbrent les armées de terre et les héros des combats aériens. A l’intérieur de l’ arche ont été gravés les noms et les dates des grandes campagnes de la première guerre mondiale.
La piscine
A l’entrée Sud de l’Anse des auffes, se trouve un rocher.
Henri Tasso ( 1882-1944) Maire de Marseille et Ministre de la Marine marchande, souhaitant promouvoir la natation et assurer la sécurité des baigneurs, décida d’utiliser cet abri naturel pour y créer une école de natation. On relia le rocher à la rive, on créa un quai, jusqu’à former un bassin ouvert que l’on appelle maintenant « la piscine «
Elle fut inaugurée le 6 septembre 1936
Entre 1950 et 1970 une digue a été adossée au rocher pour protéger l’anse du vent du Sud et de la houle.
Les restaurants
L’accès, facilité par la création de la Corniche, ainsi que l’engouement pour les bains de mer ont entraîné l’ouverture de nombreux établissement de bords de l’eau – bains, guinguettes ou grands restaurants. C’est ainsi que sont nés, au Vallon, trois établissements devenus emblématiques du lieu.
- Au fond du port : créé vers 1885 - c’est cette année là que je trouve pour la première fois mentionné dans l’Indicateur marseillais Félix Battala aubergiste , sans nom de rue, encore moins de numéro.
Vont suivre, toujours d’après l’Indicateur marseillais et jusqu’en 1914 :De 1890 à 1894, toujours sans localisation, Félix Battala aubergiste et Emmanuel Gras Café Restaurant .
En 1895, c’est Emmanuel Gras Café Restaurant 129 rue de Vallon des auffes, l’adresse exacte du restaurant actuel.
En 1905 Emmanuel Gras est remplacé par H. Gras.
F. Allègre prend la suite en 1906
1912 Noël Rieu café restaurant
Café restaurant L. Chabot en 1914
Le lieu a porté différents noms au fil des décennies. Les voici reconstitués (chronologie pas tout à fait garantie) grâce aux enseignes lisibles sur les cartes postales
Café restaurant réserve de poissons et coquillages
Café restaurant Au délice du Vallon des auffes – A. Bonnefont et Fabre en 1907
Café restaurant Au repos du Vallon des auffes
Café restaurant L. Chabot
Café restaurant Bonvalet
Bar Rendez vous des pêcheurs
Bar du vallon (vers 1940)
Pizzeria chez Jeannot fondée en 1949 par Jean Marius Mounier dit Jeannot, ancien boulanger, ancien pêcheur, revenu à son premier métier en y ajoutant la fabrication de pizza.
Son fils Lionel, qui avait pris la relève, a cédé l’établissement en 2015 à son cousin Alexandre Pinna patron du restaurant voisin « Fonfon «
Chez Jeannot est le nom actuel.
Rive droite du port l’établissement est répertorié dans l’Indicateur marseillais, au n° 138 (adresse actuelle n° 140) sous
1896 Baptistin, Martin auberge villa Carrière
1898 Villa Carrière TH . Brun aubergiste
Pas de mention en 1899 1900 et 1901
1902 Auguste Guigan
De 1903 à 1912 Baptistin Scotto Bar Restaurant Beau Rivage
1913 E Cuchet Bar
Bar café Beau rivage
En 1952 Alphonse Mounier prend la tête du Beau Rivage le transforme peu à peu en restaurant gastronomique qui prend le nom de Fonfon ; il est tenu depuis lors par la même famille.
- Tout au bout du quai rive droite
en surplomb sur les rochers se trouve L’Épuisette fondée dans les années 40 l’époque où, pour réserver il fallait appeler « Dragon 17 82 - «
Qui se souvient encore de ces numéros de téléphone alphanumériques ? Dragon était l’indicatif du secteur d’Endoume.
Comme la plupart de ces restaurants de bord de l’eau l’ Épuisette possédait son propre vivier.
Depuis 1999 c’est le chef Guillaume Sourrieu – étoilé depuis 2003 - qui est aux commandes de la cuisine.
Collection l'Epuisette
Le naufrage
Sur l’un des côtés du pont se trouve une plaque commémorative du drame survenu le 13 juillet 1961. Les 3 pêcheurs de la Josiane - Louis Tassara, Marius Roux et Alexandre Peterle - étaient partis par fort mistral relever les filets aux environs du phare de Planier.
Aperçus près de Planier par le « Titou « qui rentrait au Vallon et à 10 h30 par le cargo Huguette V, puis par un veilleur du sémaphore de Pomègues (l’une des îles du Frioul) qui les apercevait à mi-chemin entre Planier et le cap Caveaux, rentrant vers le Vallon. Quelques instants plus tard il ne les voyait plus.
La pilotine du Frioul dépêchée sur le secteur n’ayant pas trouvé la Josiane, des moyens de recherche plus importants étaient mis en œuvre, un Nord 262 décollait pour ratisser la zone, la pilotine du Frioul et le canot de sauvetage de la Ciotat étaient en alerte, prêts à répondre à un signalement de l’avion, tous les navires du secteur étaient en alerte.
Ces recherches furent vaines et ce fut chez Fonfon où ils s’étaient rassemblés pour attendre les nouvelles que les familles et les amis furent informés de la disparition de leurs proches.
Alexandre Peterle avait déjà été victime d'un naufrage en 1929 à bord de la Raymonde.
https://www.retronews.fr/journal/le-petit-provencal/03-mars-1929/677/3166907/3
Les jardins
- Le jardin de Benedetty : l’entrepreneur cité plus haut, qui avait percé les rues, construit la plupart des immeubles du secteur, avait établi son domicile Boulevard de la rade auquel il avait adjoint un jardin privé.
En 1982 ses descendants ont fait don de ce terrain à la Ville pour en faire un jardin public inauguré par Gaston Defferre (1910-1986) Maire de Marseille et tout naturellement baptisé « Jardin de Benedetty « . Petit jardin complanté d’arbres d’essences diverses dont un figuier qui embaume et fait le bonheur des cueilleurs, aménagé en coins et recoins avec un dédale de sentiers, d’escaliers, de terrasses, de bancs, et une aire de jeux très appréciée par les enfants du quartier,
Dans le cadre de " Avant le soir " des spectacles gratuits - théâtre, musique - y sont proposés certains jours d'Eté par la mairie des 1er et 7eme arrondissements.
- Le jardin de Suzie : au pied de la falaise côté Endoume, le long de la rue du Vallon des auffes, un terrain si étroit et si pentu qu’ aucune construction n’était envisageable. Pourquoi ne pas l’agrémenter ? C’est ce qu’a fait avec patience Suzie Montefusco habitante du quartier qui a paysagé ce pan de colline, le transformant en un sympathique jardin méditerranéen inauguré le 26 mai 2018 par Sabine Bernasconi Maire des 1er et 7eme arrondissements en présence de la créatrice.
ET ENCORE ...
- Au numéro 115 rue du Vallon des auffes une maison aujourd’hui baptisée « La tinche « - qui devrait être « La tencho « terme signifiant teinture en Provençal.
Faire la tencho c’est tremper les filets de pêche dans une dissolution d’écorces de pin pour les préserver de l’action corrosive de l’eau de mer.
Cette maison a été le siège de la Prudhommie des patrons pêcheurs mais pour moi c’est surtout l’ancienne maison de mon arrière-grand-oncle Jules Eugène BICAIS qui après avoir été boulanger est devenu pêcheur professionnel au Vallon.
Son fils Marius était Vice trésorier de la section Vallon des auffes des Patrons pêcheurs de Marseille en 1923.
- Alibert, chanteur et gendre de Vincent Scotto avait une maison sur la Corniche juste après le pont du Vallon.
- Jean Bazalgette 1907-2002, plus connu comme Jean Bazal son nom de plume, était un journaliste et écrivain de romans policiers et d’espionnage.
Il nous fait visiter et vivre le Vallon dans son livre Mon village à 71 marches de Marseille. Soixante et onze c’est le nombre de marches de l’escalier du Vallon des auffes, qui descend de la Corniche jusqu’au quai à côté du restaurant Fonfon.
Le chantier Toche : qui dit pêche dit embarcation c’est pourquoi, au début du XXe siècle Etienne Toche, charpentier de marine d’origine Ciotadenne, s’est installé au Vallon avec son chantier de construction et réparation navale dans la rue de la rue du Vallon des auffes, à hauteur de l’actuel Boulevard des Dardanelles.
Il y réalisait les traditionnelles bettes marseillaises. Je dis bien bette, le nom de cette embarcation à fond plat est presque oublié (sonne-t-il mal aux oreilles de nos contemporains ? ). Laissons parler les spécialistes
https://loucapian.com/page/la-bette
https://www.chasse-maree.com/toutsavoir/betou-nacelle-et-bette/
Le vallon à l’affiche
Ce joli coin si sympathique et très photogénique n’a pas manqué d’inspirer les artistes. Le vallon apparaît au cinéma, dans les décors d’opérette, illustre des partitions, inspire des peintres.
- Un de la Canebière : opérette du Marseillais Vincent Scotto, chansons du Toulonnais René Sarvil, du Marseillais Raymond Vincy et d’Alibert, gendre de Vincent Scotto, Marseillais d’adoption natif de Carpentras dont la maison était sur la Corniche après le pont du Vallon.
- Trois de la Canebière : film tiré de l’opérette.
Documents Internet
« Scotto et Alibert ont fait du Vallon une sorte de fosse d’orchestre, le tréteau du soleil et de la galéjade. Le Vallon des auffes n’est-ce pas, en somme, l’Alcazar nautique de Marseille ? «
- Honoré de Marseille : film avec Fernandel en 1956 dont cette séquence est tournée au Vallon
https://www.facebook.com/watch/?v=137469010533068
L'Atlas Michelin lui même l'a mis à l'honneur pour son édition 2022
Le Vallon en fête
En 1970, les Marseillais avaient rendez-vous au bassin du Carénage et au vallon des Auffes pour assister à deux tournois prévus dès 16 h par la Société des jouteurs marseillais, fusionnée dans les années 80 avec le club de La fine lance estaquéenne.
Bien qu’il soit toujours un charmant petit port le Vallon , en devenant de plus en plus touristique se révèle moins authentique, les modestes cabanons de pêcheurs perdent leurs pêcheurs, sont souvent surélevés d’un étage et sont consacrés, pour plusieurs d’entre eux, à la location saisonnière.
Le Vallon en 3 étapes
*Beaux yeux : autre nom de la dorade rose
Sources : Archives familiales - Ma généalogie - AD 13 – Indicateur Marseillais – Inventaire Ma Région Sud - Ministère de la Culture - Gallica - D. Thevot - Le Provençal - La Provence
ML BICAIS Marseille 8 avril 2022